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2 mars 2007

Qu'est-ce qu'un manquement à une obligation essentielle d'un contrat ? Eléments de réponse fournis par la Cour de cassation

Dans la chronique précédente de votre serviteur sur la saga "Chronopost", nous avions vu que la Cour de cassation juge dorénavant en matière contractuelle qu'en cas de manquement du débiteur à son obligation essentielle, la clause limitative de responsabilité est réputée non écrite, en raison de son absence de cause (v. en ce sens le 1er arrêt rendu dans la saga "Chronopost" : Cass. com., 22 oct. 1996, pourvoi n° 93-18632).

Si l'on peut imaginer sans trop de difficulté ce qu'est un manquement à une obligation essentielle du contrat, aucun des nombreux arrêts rendus dans les affaires impliquant le transporteur express n'avait pourtant donné de définition précise de cette notion.

Cet oubli est désormais réparé puisque la chambre commerciale de la Cour de cassation apporte, dans un arrêt en date du 13 février 2007, une définition assez précise de la notion de manquement à une obligation essentielle d'un contrat.

Pour les lecteurs assidus de ce blog, je signale que l'arrêt est noté P+B+R+I, ce qui témoigne de son importance, puisqu'il aura les honneurs d'une publication multiple dont une dans le rapport annuel de la Cour de cassation.

En l'espèce, une société industrielle F, qui souhaitait déployer sur ses sites un logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la gestion commerciale, avait conclu à cette fin en septembre 1999 plusieurs contrats avec une société informatique O, qui proposait un logiciel V 12 répondant à ce type de besoin. Néanmoins, le logiciel V 12 n'étant pas encore disponible à la date de conclusion des contrats et la société F ayant besoin d'une solution immédiate, notamment pour passer l'an 2000, la société O lui fournit un autre logiciel à titre provisoire, le temps que le logiciel V 12 soit livré dans les mois suivants.

Par la suite, aux motifs que la solution provisoire connaissait de graves difficultés et que la version V 12 du logiciel ne lui avait pas été livrée, la société F décida de cesser de régler les redevances à la société O. Or cette dernière avait cédé ces redevances à une tierce société qui assigna en paiement la société F. Celle-ci appela alors en garantie la société O et l'assigna aux fins de nullité pour dol ou résolution pour inexécution de l'ensemble des contrats signés par les parties. C'est alors que la société O lui opposa une clause limitative de responsabilité prévue dans les contrats.

La cour d'appel de Paris appliqua cette clause et limita donc les sommes dues par la société O à la société F, considérant que la société F ne caractérisait pas la faute lourde de la société O qui permettrait d'écarter la clause limitative de responsabilité. On sait en effet que seule la faute lourde est susceptible de rendre inapplicable les clauses limitatives de responsabilité. On pouvait donc penser que les carottes étaient cuites pour la société F, et que celle-ci, dans l'impossibilité de démontrer l'existence d'une faute lourde commise par la société O, devrait se contenter d'une maigre indemnité.

Mais la Cour de cassation, au visa de l'article 1131 du Code civil,  casse sur ce point l'arrêt des juges d'appel. La chambre commerciale reproche en effet à la Cour d'appel de Paris de s'être contentée d'évoquer des manquements à des obligations essentielles, sans caractériser ce que seraient les premiers et les secondes, dès lors que, selon la Haute Juridiction, "de tels manquements ne peuvent résulter du seul fait que le logiciel initialement prévu n'ait pas été livré ou que l'installation provisoire ait été ultérieurement désinstallée".

Plus précisément, la Cour de cassation affirme "qu'en statuant ainsi, alors que [la Cour d'appel] avait, d'abord, constaté que la société O s'était engagée à livrer la version V 12 du progiciel, objectif final des contrats passés en septembre 1999 et qu'elle n'avait exécuté cette obligation de livraison ni en 1999 ni plus tard sans justifier d'un cas de force majeure, puis relevé qu'il n'avait jamais été convenu d'un autre déploiement que celui de la version V 12, ce dont il résulte un manquement à une obligation essentielle de nature à faire échec à l'application de la clause limitative de réparation, la Cour d'appel a violé le texte susvisé [l'article 1131 du Code civil]".

Cette décision est importante. On y apprend que la Cour de cassation détermine les obligations essentielles des parties à un contrat en fonction de "l'objectif final du contrat". Les obligations essentielles sont celles qui permettent d'atteindre l'objectif final du contrat.
En outre, on constate que la Haute Juridiction refuse d'admettre qu'une solution provisoire puisse permettre au débiteur de ne pas manquer à son obligation essentielle (sauf si le contrat prévoit cette possibilité mais ce n'était pas le cas en l'espèce).

La solution est donc dorénavant bien établie : Une partie à un contrat qui s'engage à remplir l'objectif final du contrat conclu avec son cocontractant et qui n'exécute pas cette obligation sans justifier d'un cas de force majeure, manque à une obligation essentielle du contrat de nature à faire échec à l'application de la clause limitative de responsabilité prévue dans le contrat à son profit.

Source : Cass. com., 13 févr. 2007, pourvoi n° 05-17407 (P+B+R+I)

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